Les mythes nordiques ne comportent pas que des éléments fictionnels : aux créatures surnaturelles et aux événements extraordinaires se mêlent des récits de personnages ayant existé mais dont les actions ont été mythifiées.
Ces récits sont consignés dans de nombreuses sources écrites. Mais ces sources doivent être maniées avec la plus grande précaution, car elles remontent dans le meilleur des cas au 12ème siècle, sinon plus tard, donc après la fin du mouvement viking et après la christianisation de la Scandinavie. Elles sont souvent corrompues : c’est-à-dire qu’elles plagient d’anciens documents et exagèrent l’aspect mythique des ancêtres célébrées. Elles ont contribué à l’élaboration du mythe viking.
Cet article propose d’examiner ces différentes sources. Il suivra l’état des lieux proposé par le célèbre runologue Raymond Ian Page (1924-2012), qui était hostile à une vision romanesque et pittoresque des Vikings, de leurs langues et de leurs mythes, comme le fut également Régis Boyer, professeur de langues, littératures et civilisation scandinaves à l’université de Paris-Sorbonne de 1970 à 2001 (1932-2017).
Quelles sont nos sources en matière de mythes nordiques ?
R. I. Page distingue trois sources principales :
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L’Edda poétique :
L’Edda poétique regroupe un ensemble de 29 poèmes et 2 fragments. Ces poèmes sont de longueurs variables. Ils ont été composés à des moments différents dans les divers pays et régions de la Scandinavie. Ils sont juxtaposés sans souci de cohérence particulier dans le Codex Regius, manuscrit islandais en peau de vélin (peau de veau mort-né), autrefois conservé à la bibliothèque royale du Danemark, puis rendu le 21 avril 1971 à l’Islande au cours d’une grande cérémonie. Il est aujourd’hui gardé précieusement à l’Institut Árni Magnússon, à Reykjavík.
Le Codex Regius mesure 19 sur 13 cm. Il est composé de 45 feuilles de vélin. Sa rédaction est estimée autour des années 1275. Il contenait à l’origine 8 feuilles de plus, qui sont manquantes de nos jours. Cet écrit est l’unique source de la plupart des poèmes qu’il contient. Ces 31 poèmes sont répartis en deux ensembles : les poèmes mythologiques et les poèmes épiques.
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Les poèmes mythologiques
Völuspá — La Prédiction de la voyante
Hávamál — L’Ode du Très-Haut
Grímnismál — L’Ode de Grimnir
Vafþrúðnismál — L’Ode de Vafthrudhnir
Hymiskviða — Le Chant d’Hymir
Þrymskviða — Le Chant de Thrym
Alvíssmál — L’Ode d’Alviss
Hárbarðsljóð — Le Lai d’Harbard
Skírnismál — L’Ode de Skirnir
Lokasenna — L’Esclandre de Loki
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Les poèmes épiques (héros et héroïnes de l’Antiquité germanique)
Atlakviða — Le Chant d’Atli
Atlamál — L’Ode d’Atli
Reginsmál — L’Ode de Regin
Fáfnismál — L’Ode de Fáfnir
Grípisspá — La Prédiction de Grippir
Sigrdrífumál — L’Ode de Sigrdrífa
Brot af Sigurðarkviðu — Le Fragment du poème de Sigurdr
Sigurðarkviða hin skamma — Le Chant bref de Sigurdr
Guðrúnarkviða I — Le Premier Chant de Gudrún
Helreið Brynhildar — Chevauchée de Brynhild au royaume de Hel
Guðrúnarkviða II — Le Deuxième Chant de Gudrún
Guðrúnarkviða III — Le Troisième Chant de Gudrún
Oddrúnargrátr — La Complainte d’Oddrún
Guðrúnarhvöt — L’Exhortation de Gudhrun
Hamðismál — L’Ode d’Hamdir
Helgakviða Hjörvarðssonar — Le Chant de Helgi, fils de Hjörvardhr
Helgakviða Hundingsbana I — Le Premier Chant d’Helgi, meurtrier de Hundingr
Helgakviða Hundingsbana II — Le Deuxième Chant d’Helgi, meurtrier de Hundingr
Völundarkviða — Le Chant de Völundr
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L’Edda en prose de Snorri Sturluson
Grand chef islandais, homme politique, diplomate, historien et poète islandais du 12ème siècle (1179-1241), Snorri Sturluson est le principal écrivain scandinave du Moyen Âge. Auteur de nombreuses sagas et de récits mythologiques, son œuvre constitue une source essentielle pour la connaissance de la mythologie nordique.
Il compile l’Edda en prose entre 1220 et 1230 afin de fournir un manuel à l’attention des poètes scaldes d’Islande, désormais chrétiens et donc ignorants du panthéon nordique. Les aspirants poètes y trouvent à la fois des conseils formels (métrique, etc.) et une source d’information en mythologie.
Le Prologue de l’Edda, dont l’attribution à Snorri est contestée, présente les dieux du panthéon scandinave d’un point de vue chrétien : Snorri étant de confession chrétienne (à ce sujet, voir la frise chronologique des conversions successives des pays scandinaves dans l’article « Qu’est-ce qu’un Viking ? ») il devait présenter les mythes païens d’un point de vue distancié.
La Gylfaginning (« Mystification de Gylfi » en vieux norrois) prend la forme d’un dialogue entre le roi suédois Gylfi, féru de philosophie en quête de savoir qui rencontre trois personnages régnant sur Ásgard. Leur entretien est un prétexte pour fournir une sorte d’encyclopédie sur les traditions, le folklore et les légendes nordiques.
Dans le Skáldskaparmál ou Skaldskaparmal (« Traité poétique »), Aegir, grand magicien danois, est reçu par les Ases qui donnent un grand banquet en son honneur. Lors de ce banquet il est assis près de Bragi, dieu de la poésie, qui lui raconte les nombreux exploits des Ases. Ces nombreux récits mythologiques et héroïques s’appuient sur plusieurs poèmes scaldiques pour former les jeunes poètes chrétiens aux mythes païens.
Le Háttatal (« Dénombrement des mètres ») est d’abord un poème de louange en l’honneur du roi Hákon et du jarl Skuli qui sert en réalité à recenser les différents types de vers, la structure des strophes, etc.
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La poésie scaldique
Les scaldes sont les poètes de cour scandinaves. Ils ont laissé de nombreux poèmes signés qu’ils ont rédigé en l’honneur de leur souverain. Ceux que nous avons conservés ont été écrits à l’aide de l’alphabet latin, après la conversion de la Scandinavie au christianisme : les spécialistes espèrent toutefois que ces poésies n’ont pas trop été remaniées. Dans ces poésies apparaissent divers types mythologiques.
Conclusion
Ces trois sources principales sont donc hétéroclites et ont été composées dans des lieux et à des époques différentes : R. I. Page attire l’attention sur la difficulté de dégager un ensemble homogène et cohérent en matière de mythologie nordique.
Patrick Guelpa, maître de conférence HDR à l’Université Charles de Gaulle — Lille 3, spécialiste de civilisation et littérature islandaise ancienne et moderne, rappelle qu’il ne faut pas négliger les sources archéologiques en matière de connaissance mythologique. Les usages funéraires et les modes de sépulture nous renseignent sur la conception que les anciens Scandinaves se faisaient de la mort, ainsi que de la vie après la mort. En effet, les tombes collectives naviformes (pierres levées en forme de bateaux) tout comme les bateaux brûlés à terre et recouverts d’un tumulus prouvent que l’au-delà est conçu par les Vikings comme un voyage.
Des offrandes votives de la fin de l’âge de bronze en forme de petits bateaux en or viennent corroborer cette idée. Enfin, différents objets de la vie quotidienne comme des amulettes à l’effigie d’Óðinn ou des petits marteaux de Thor, Þórr, nous renseigne sur la fréquence et la sphère géographique des cultes rendus aux dieux. Les gravures rupestres et les inscriptions runiques nous fournissent également de précieuses indications sur le panthéon nordique.